Est Laïcité assez?
Intervention dans la conférence sur laïcité, liberté et égalité
Le 2 décembre 2011, à Paris
Azar Majedi
La dernière fois que je me suis exprimée sur la question de la laïcité lors d’une conférence à Paris, j’ai fait la différence entre une laïcité de droite et une laïcité de gauche. J’ai parlé de la nécessité d’organiser un mouvement de laïcité de gauche. Un mouvement qui non seulement défend une forme radicale de laïcité, s’opposant ainsi à l’ingérence de la religion au sein de l’État, de la législation et de l’éducation. Mais qui s’oppose également à ce que nous pouvons appeler depuis le 11 septembre 2001 les deux pôles du terrorisme : le terrorisme d’État dirigé par les États-Unis et armé par l’OTAN, et le terrorisme islamiste, dont le principal leader est la République Islamique d’Iran, mais qui n’est pas limité à ce régime.
Ce discours a entraîné des réactions opposées, parmi le public de la conférence, et aussi par la suite, lors de sa publication en français, en anglais et en persan.
Aujourd’hui, près d’un an après la première vague de manifestations au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, cette question est devenue d’autant plus cruciale. Pourquoi est-il essentiel de distinguer ces 2 courants, et de prendre parti pour l’un contre l’autre ? C’est une question importante.
L’année dernière nous avons pu voir comment ces 2 courants ont réagi aux évènements qui se déroulaient au Moyen-Orient. La droite, sous prétexte de danger islamiste et de préoccupation pour soit-disant les droits des femmes, a timidement défendu le statu quo. J’ai participé à une conférence en ligne intitulée “Manifestations arabes et droits des femmes”, certains participants exprimaient seulement de l’inquiétude à l’idée de la chute des régimes de Mubarak et Ben Ali. Plus tard, la droite a aussi défendu l’engagement de l’OTAN sur le terrain pour l’arrivée au pouvoir du CTN en Libye. Pourtant, maintenant que la sharia islamique est sur le point de devenir loi nationale en Libye, ils prétendent que le CTN a trompé l’OTAN !
La religion et les organisations religieuses sont sources de politiques réactionnaires. C’est la vérité. Mais ce n’est qu’une partie de la vérité. La religion fait partie intégrante de l’idéologie réactionnaire et misogyne dominante. Cette idéologie dominante existe pour défendre un système basé sur la discrimination, l’inégalité, l’exploitation économique et le manque de liberté. C’est le capitalisme. S’il nous fallait développer cette question dans les années 90, ce n’est plus le cas aujourd’hui, alors que le capitalisme a détruit nos vies, que des millions de personnes sont au chômage, incapables de loger et nourrir leur famille; alors que le mouvement anticapitaliste est devenu mondial, que les capitalistes deviennent de plus en plus riches au détriment des travailleurs et des citoyens ordinaires. Est-il vraiment nécessaire de conceptualiser cette question et d’entreprendre de longs débats pour prouver cette thèse ? Je ne le crois pas. Nous savons que le capitalisme est la source de l’inégalité, de la discrimination et de la misère actuelle de nos sociétés.
En substance, les mouvements de masse au Moyen-Orient et en Afrique du Nord pour la liberté, l’égalité et la prospérité sont tous anticapitalistes, comme tous les autres mouvements qui luttent contre la situation actuelle, ce que l’on appelle aujourd’hui le mouvement des 99%. C’est pourquoi le terrorisme d’État mené par les États-Unis n’a pu renvoyer les gens chez eux, qu’il a envoyé Ben Ali en exil et s’est débarrassé de Mubarak pour garder l’appareil d’État aussi intact que possible. C’est pourquoi en Libye, puisqu’il ne possédait pas le même pouvoir de manipulation, il s’est engagé militairement pour s’assurer qu’après la chute de Kadhafi, l’État ne tombe pas entre les mains du peuple. C’est pourquoi le terrorisme d’État mené par les États-Unis a pris une approche plus positive vis-à-vis d’un État palestinien et fait pression pour faire reculer Israël.
L’occident fait des compromis avec les islamistes pour empêcher que la situation ne se transforme en révolution des travailleurs et pour éviter que le pouvoir tombe dans les mains du peuple et des courants de gauche et communistes. C’est exactement ce qui s’est passé en Iran en 1979 quand les gouvernements occidentaux, dans leur peur de voir la gauche prendre le pouvoir, ont fait venir Khomeini, un obscur religieux, à Paris pour en faire un dirigeant et lâcher ce monstre sur le peuple iranien. Si ce n’est la même forme d’islamisme, une forme soi-disant plus modérée, à savoir un islamisme à la turque, est renforcé dans la région.
Les peuples de la région sont poussés vers le même piège, tout comme l’Iran de 1979. Nous devons en être conscient et empêcher cette issue. Pour cette raison, nous devons être de bons laïques, et nous passionner pour la liberté, l’égalité et la justice. Nous devons avoir l’intelligence politique de ne pas penser qu’il faut prendre parti pour un pôle pour combattre l’autre. Nous devons prendre position contre ces deux pôles : le terrorisme d’État dirigé par les États-Unis et le terrorisme islamique. Nous devons être clairs dans notre lutte pour la liberté, l’égalité et la prospérité pour tous, et catégoriques dans notre défense de l’égalité et de l’émancipation des femmes.
Dans cette optique, nous -peuples étouffés par le régime iranien et ses pairs, nous -les communistes ouvriers qui luttons pour libérer l’humanité de l’inégalité, des discriminations, de la pauvreté et de l’exploitation économique, nous qui défendons l’égalité des femmes et leur émancipation, nous devons faire face à deux courants politiques: 1-ceux qui sont tellement obsédés par l’Islam et sa domination autoritaire, qu’ils sont prêts à s’allier avec le diable, à savoir, le terrorisme d’État mené par les États-Unis, afin de se débarrasser de l’Islam; ceux que j’appelle les laïques de droite; et 2- ceux qui sont soi-disant à gauche de l’éventail politique et principalement préoccupés par l’impérialisme; leur but principal étant de combattre ce qu’ils appellent impérialisme, ils sont prêt à fermer les yeux sur l’inégalité, la violence, repression, la misogynie tant que leur ennemi principal, l’impérialisme, existe encore. Il y a tellement d’exemples de ces groupes qui condamnent la lutte des peuples contre des régimes autoritaires, parce qu’ils pensent que ces mouvements sont soutenus par les États-Unis ou l’Occident. Comme par exemple ceux qui ont pris parti pour le régime islamique en 2009, ou pour le régime de Kadhafi contre l’OTAN.
Ces deux pôles, même s’ils sont à l’opposé l’un de l’autre, s’entraident mutuellement, et vont à l’encontre de la juste lutte des peuples, des travailleurs, des démunis, des sans droits, de ceux que l’on appelle aujourd’hui les 99%.
Nous devons prendre position contre ces deux pôles. Nos seuls guides doivent être la liberté, l’égalité et la prospérité des peuples. La liberté complète et l’égalité réelle de tous les citoyens. Construisons donc un mouvement qui défendra la liberté, l’égalité et la prospérité des peuples en ces temps difficiles.