Toutes les religions ont leur face sombre. Celle du judaïsme, ce sont ces hommes en noir, qui, l’écume aux lèvres, braillent pour exiger ce qu’ils refusent aux autres : de la tolérance et du respect. Et qui minent peu à peu la démocratie israélienne.
Les intégristes des trois religions du Livre ont au moins cela en commun : la peur et la haine des femmes. Ne sont-elles pas la principale source de plaisir des mâles ? Une horreur puisqu’à leurs yeux, nul n’a droit au bonheur avant d’accéder au Paradis.
Ils considèrent aussi les hommes comme des êtres faibles, incapables de résister à la moindre tentation. Il convient donc d’exclure tout ce qui est féminin de leur vue comme de leur vie. (Hormis bien sûr, dans le cadre de la reproduction)
Et, ces derniers temps, les intégristes juifs, ultra-nationalistes ou ultra-orthodoxes* sont passés à l’offensive. Avec le même but : expulser les femmes de l’espace public, quel qu’il soit. C’est ainsi qu’un orchestre d’Ashdod s’est vu contraint de supprimer un concert.
Les abonnés ultra-orthodoxes avaient protesté : il y avait sur scène pas moins de trois femmes : une violoncelliste, la chef d’orchestre et une chanteuse… A Jérusalem, le journal Hamodia a organisé une conférence/débat sur l’économie, interdite aux femmes.
Logique : ce média religieux refuse déjà publier des photos de femmes. Et il n’a pas fait d’exception pour les journalistes, fussent-elles orthodoxes, donc « décentes ». Parmi les orateurs se trouvaient le ministre des Finances et le maire de Jérusalem. Ils n’ont pas pipé un mot.
Aucune autorité n’a non plus réagi au fait que, depuis les années 80, sur certaines lignes de bus, on impose aux femmes de s’asseoir à l’arrière. Egged est pourtant une compagnie nationale. Et la Cour Suprême a toujours été claire : aucune discrimination (d'origine, de religion ou de sexe) n’est autorisée dans les entreprises fournissant un service public. Mais, jusqu’à présent, ce genre de détails n’a guère semblé intéresser quelque responsable que ce soit.
De même pour ces rues des quartiers ultras, de Jérusalem ou d’ailleurs, dans lesquelles les femmes sont « invitées » à n’utiliser qu’un seul trottoir. Pas plus qu’à cette dérive dénoncée par un rapport du ministère de l’Education nationale : il n’existe plus, dans tout Israël, que 140 écoles religieuses où les enfants ne sont pas séparés par sexe. Voici dix ans à peine, c’était encore le cas de 75% d’entre elles… On parle ici, d’écoles primaires.
« A quand la ségrégation dans les crèches ?»,demandait dans une interview récente, l’ancien vice-ministre de l’Education, le rabbin Michaël Melchior. Et, dans la petite ville de Beit Shemesh (v. encadré), une fillette de 8 ans s’est fait cracher dessus et traiter de « putain ».
Elle avait beau appartenir à une famille ultra-orthodoxe, elle n’en manquait pas moins de « décence » aux yeux de quelques énervés qui considéraient aussi que l’école primaire religieuse où elle se rendait était un « lieu d’impudicité ».
Tsahal aussi
Le même processus est en cours dans l’armée israélienne dont l’Etat-Major semble reculer stratégiquement devant les exigences des ultras. Ces dernières années pourtant, l’intégration des femmes n’avait cessé de progresser.
Mais c’était avant que le nombre de soldats religieux ne s’accroisse jusqu’à atteindre les 40%. Là encore, ce sont, a priori, des faits dénués de gravité : des officiers quittent une cérémonie officielle parce qu’une femme y chante.
Des discriminations contre les femmes dans les nominations à la sortie des écoles militaires. Des unités qui « préfèrent » ne pas avoir d’instructeurs féminins. Le gel par l’Etat-Major d’un projet tendant à promouvoir l’accès des femmes à tous les postes...
Les rabbins militaires qui bataillent, non sans succès, pour contrôler entièrement la formation de « l’identité juive » des soldats tentent sans cesse de reléguer les soldates dans des fonctions mineures et déplaisantes.
Avec l’espoir que remplir leurs obligations militaires devienne si désagréable pour les femmes qu’elles feront tout pour s’y soustraire. En 2009 déjà, le Grand Rabbin de Tsahal, Avichai Ronski, déclarait que les femmes ne devraient pas servir dans l’armée. Il est toujours en poste.
On dira, non sans raison, qu’il ne s’agit là que des excès de groupuscules exaltés. De fait, ces gens sont rejetés par la majorité des Israéliens, par la majorité des religieux et même par la majorité des Haredim**.
Mais l’argument reste faible : ce sont toujours les minorités agissantes qui font bouger les sociétés, pour le meilleur ou pour le pire. Et si on les tolère, si on cède à leurs revendications, elles tendent vite à devenir plus puissantes, sinon majoritaires.
Or, pour l’heure, on ne peut pas dire que les réactions soient très fortes. Certes, Adina Bar Shalom s’est élevée contre les récents excès de ces intégristes. Et c’est la propre fille d’Ovadia Yossef, le leader du puissant parti ultra-orthodoxe Shass.
De même pour la fille du très haredi vice-ministre de l'Education, Eliezer Moses. Elle a parlé, elle de tendance khomeyniste. C’est fort réconfortant, mais ces propos auraient sans doute eu davantage d’impact si leurs papas s’y étaient joints.
De même, pour la lettre ouverte de six députés religieux aux Grands Rabbins, ashkénaze et sépharade d’Israël, leur demandant de condamner publiquement et avec force « ces extrémistes délirants ».
Ces deux hautes personnalités se sont, pour l’instant, contentées de déclarations alambiquées... Par contre, le Premier ministre a rappelé avec force que « les espaces publics devaient rester ouverts et sûrs pour tous les citoyens d'Israël ».
Le souci, c’est cette tendance avérée qu’a Benjamin Netanyahou à estimer qu’un bon discours suffit à régler n’importe quel problème. Du coup, il ne se sent guère tenu d’agir ensuite. Si on ajoute à cela que l’existence de son gouvernement dépend de deux partis ultra-orthodoxes…
En fait, c’est sans doute Frances Raday, ex-professeur de droit à l'Université hébraïque de Jérusalem, qui a le mieux résumé la question : « Depuis sa création, l'Etat d'Israël est beaucoup trop tolérant vis-à-vis de l'intolérance des ultra-orthodoxes ».
Les manifestations et protestations actuelles, d’où qu’elles viennent et si nombreuses soient-elles, seront insuffisantes si elles ne sont pas suivies par des actes forts du gouvernement. Il devrait agir rapidement pour remettre ces intégristes à leur place.
Ne plus admettre aucune exception à la règle commune en leur faveur : s’ils ne veulent pas voir de femmes dans la rue, qu’ils baissent les yeux. S’ils ne veulent plus les entendre chanter, qu’ils restent chez eux.
S’ils ne veulent pas s’asseoir à côté d’elles dans les bus, qu’ils aillent à pied. Ce sont leurs règles, c’est donc leur problème, pas celui de la société. D’aucuns évoqueront sans doute la nécessité de ces « accommodements nécessaires » qui aident au « vivre ensemble »
L’idée est bonne, excellente : que les ultras commencent. Qu’ils cessent de vouloir imposer leurs mœurs aux autres. Mais qui a jamais vu un intégriste céder sur quoi que ce soit autrement que contraint et forcé ?
On aimerait croire que l’actuel gouvernement israélien aura le courage de déployer cette force là. Reste que la manière dont il laisse déjà l’extrême droite laïque grignoter les libertés démocratiques n’incite guère à l’optimisme.
*Pour faire simple : les ultra-nationalistes croient que l’Etat d’Israël est un don de Dieu, les ultras orthodoxes pensent au contraire que c’est une hérésie.
** Haredi (« Craignant Dieu ») : autre nom des ultra-orthodoxes.
Beit Shemesh, ville-laboratoire des intégristes ?
Située à 30 km à l'ouest de Jérusalem, Beit Shemesh était une petite ville paisible de 80.000 habitants, des Juifs religieux en majorité. Jusqu’à ce que s’y installe une communauté ultra-orthodoxe…
Très vite, les nouveaux venus se sont lancés dans une guerre ouverte contre le reste de la ville. C’est qu’ils regroupent en leur sein tous les excès ultra-orthodoxes concevables : tenue « modeste » de rigueur pour toute femme passant dans leurs quartiers, cela va de soi.
Avec, comme de juste, insultes, crachats, voire jets de pierres contre les récalcitrantes. Aucune publicité chez eux représentant une femme, naturellement. Pancartes exhortant à séparer les hommes des femmes dans « leurs » rues, bien entendu. Lignes de bus ségrégationnistes,évidemment.
En plus, ils comptent dans leurs rangs plusieurs familles de « femmes-talibans » comme on les surnomme, parce qu’elles portent l’équivalent de la burqua afghane. Et aussi un groupuscule prônant la polygamie « comme dans la Bible ».
Tout cela a fini par excéder une bonne partie de la population, notamment la prospère et tranquille communauté d’origine américaine de la ville : 2.500 familles « haredi », elles aussi, mais s’inscrivant dans une certaine modernité.
Insupportable pour les ultra-ultra-orthodoxes : une mère de famille a ainsi subi crachats et insultes parce qu’elle se promenait en sandales. Des femmes -toujours ultra-orthodoxes- ont été molestées parce qu’elles refusaient de s’asseoir dans le fond des bus.
C’est un des leurs qui s’en est pris récemment à Na’ama, 8 ans : ses vêtements étaient « trop révélateurs ». L’affaire a fait grand bruit dans le pays et une grande manifestation contre ces incongruités a été organisée.
Les intégristes ont pris à partie les manifestants puis les journalistes venus couvrir l’événement. Ensuite, ils ont attaqué la police venue rétablir l’ordre. Un de leur dirigeants a expliqué qu’il s réagissaient à « une campagne antisémite » dirigée contre leur communauté.
En face, les citoyens normaux cherchent à unir tous les modérés. L’idée est de former une coalition susceptible de renverser aux prochaines élections le maire actuel. A leurs yeux, il manifeste un peu trop de compréhension envers les excités. C’est un membre du parti Shass.